Riopelle et la gravure, une rencontre

Mi-juillet 1982, Musée d’art contemporain de Montréal : rétrospective Jean Paul Riopelle. Je me rappelle avoir quitté l’exposition, qui avait d’abord été présentée au Centre Georges Pompidou, avec le sentiment qu’on aurait pu faire mieux, qu’on aurait dû en faire plus. Notamment les organisateurs avaient fait l’impasse sur toute l’aventure de l’artiste du côté de l’estampe, sans autre forme de procès.

Et pourtant, une quinzaine d’années plus tôt, le Musée du Québec, alors dirigé par Guy Viau, avait justement fait plus et mieux, et avait eu la sagesse de faire un sort aux estampes de Riopelle, une discipline à laquelle il ne s’adonnait que depuis quelques mois, mais sur laquelle il avait déjà imprimé sa marque. D’ailleurs le catalogue comprenait un texte du fidèle Pierre Schneider, le futur concepteur de l’exposition de 1982, qui s’enthousiasmait “à propos des gravures de Riopelle”… Dès lors, les amateurs avaient eu le sentiment qu’aucune rétrospective de l’artiste ne serait complète sans les meilleures pages de son œuvre gravé que les Éditions Maeght venaient de faire naître. Et les amateurs s’étonneront encore de ce que, en 1991, une autre rétrospective, celle qui inaugure “avec éclat” les nouvelles salles du Musée des beaux-arts de Montréal, ignore complètement les estampes de Riopelle, d’autant plus que, cette fois, le commissaire principal en est Jean-Louis Prat, qui a été pendant tant d’années directeur de la Fondation Maeght.

En réalité, l’image la plus juste de Riopelle demeure celle du touche-à-tout impénitent qu’il a été pendant plus de cinquante ans, faisant jouer les disciplines et les techniques comme les manières et les matières les unes sur les autres, tantôt dans le plus grand respect des traditions, tantôt avec une certaine ferveur iconoclaste qui le placerait aux côtés de Degas, Picasso, Matisse ou Rauschenberg, entre autres. “Je m’y mets quand ça bout !” aime-t-il répéter pour expliquer son mode de fonctionnement, capricieux en apparence. C’est ainsi qu’il a, entrecoupées de périodes plus ou moins longues de silence, des “crises” de peinture ou d’assemblage et de collage ; de sculpture ou de pastel, de gouache, d’encre et d’aquarelle ; de céramique ou de laves émaillées; d’œuvres sur toile, sur papier ou sur bois, en couleur ou en noir, figuratives ou non ; de lithographie ou d’eau-forte, pure ou rehaussée. Chaque corpus est aussi influencé par les précédents qu’il conditionne les suivants, ce qui n’interdit aucune forme de retour sur des suites anciennes dont le propos n’est jamais épuisé. En toute liberté toujours, en toute insouciance des modes et de “la demande”…

GILLES DAIGNEAULT