
Des anecdotes que Riopelle raconte s’éclairent aujourd’hui rétrospectivement comme des indices révélateurs, comme des noeuds psychothématiques que l’oeuvre dans sa complexité va tenter de dénouer, de filer, de tisser en réseaux de signes plastiques et de symboles polysémiques. Ce n’est pas tant la “vraie vie” qui importe que son écho dans l’univers imaginaire, que la manière dont elle retentit et se répercute dans la création, arrangée, transfigurée en roman familial, en mythologie personnelle. En oeuvrant, l’artiste s’évertue inlassablement à compenser les manques de la vie ordinaire, à retourner en énergie les forces inhibitrices de l’angoisse, à retrouver un paradis perdu dans la petite enfance.
Mais il s’inscrit aussi dans l’histoire, dans une conjonction d’événements qui l’éveillent autant qu’il les provoque. Si la période parisienne de Riopelle a été abondamment documentée, sa jeunesse montréalaise est mal connue surtout à l’étranger, vue à travers les préjugés et les clichés qui accablent la société canadienne-française, et qu’il a lui-même contribué à exagérer. Il fallait évidemment quitter Montréal pour des horizons infinis, en cette fin des années quarante, comme il fallait quitter de la même façon New York, Lille, Nantes ou Marseille… Contrairement aux idées reçues, il y eut pendant la guerre, et dans les années qui suivirent, une effervescence culturelle limitée à des cercles restreints, mais intense, qui rendit possible l’émergence d’une École de Montréal, vite éclipsée il est vrai par celles de Paris et de New York.
1. Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, 3e éd., Paris, Nagel, 1961, pp. 34-35.
MONIQUE BRUNET-WEINMANN